Par Gabrielle Golondrina et Nicolas Martin
Les 27 et 28 avril 2024, s’est tenue à Labège, près de Toulouse, la quatrième édition des Rencontres de l’esprit critique. Le Rasoir d’Oc y était et vous raconte plus particulièrement le déroulé de tout son premier atelier sobrement intitulé « Des mots pour abîmer les dogmes », qui tente de mêler poésie et esprit critique.
Pour une association locale telle que la nôtre, l’événement était d’importance. Nous avons par ailleurs entendu et compris pour partie les critiques qui ont pu être émises à l’encontre de l’organisation de ces Rencontres (de même que nous nous reconnaissons dans certaines), qu’il s’agisse notamment des partenariats ou de la présence de certain·es intervenant·es, mais il nous a également semblé nécessaire d’occuper le terrain avec toute notre rasante fraîcheur.
Notre présence aux Rencontres de l’esprit critique
En plus d’occuper un stand dans le hall, lieu d’échanges et de convivialité, plusieurs des membres de l’association[mfn] Lesquel·les se verront gratifié·es d’un caractère gras dans le texte pour les identifier.[/mfn] ont participé aux tables rondes, spectacles et ateliers.
JB Meybeck, graphiste et auteur de bandes dessinées, a échangé avec son coauteur Pascal Marchand[mfn] Ces mêmes JB Meybeck et Pascal Marchand qui sont venus présenter leur bande dessinée Eurêka. Une histoire des idées scientifiques durant l’Antiquité à l’Eurêkafé en août 2023. Présentation à retrouver ici : https://youtu.be/MQg7t05vj1M?si=2r14UHkLdWswo-Cr [/mfn] sur le sujet « A-t-on besoin de culture scientifique pour réussir sa vie ? » et a participé à une table ronde regroupant Romain Meunier et Gilles Bellevaut, animée par Florence Dellerie, autour de la question « La BD : un outil de vulgarisation massive ? ».
Joan et Lou Girard ont proposé aux jeunes (disons « aux enfants ») une réflexion sur l’éducation à la vie sentimentale et amoureuse.
Le samedi soir, Gabrielle Golondrina se tenait aux côtés de Maela Le Badezet à la harpe et Richard Monvoisin à la voix pour une lecture de textes poétiques (avec Florence Dellerie en guest star), et soulager ainsi un désir de faire entrer les multiples et radieuses formes de la poésie dans les milieux parfois un peu rigides de l’esprit critique.
Et parce que nous croyons que trop de poésie jamais ne peut nuire, nous avons réitéré l’intrusion le dimanche matin, avec un atelier d’écriture esprit critique et poésie coanimé par Nicolas Martin et Gabrielle Golondrina, dont la prétention était : « Des mots pour abîmer les dogmes ». Il s’agissait en outre du premier atelier officiellement proposé par le Rasoir d’Oc, ce qui ne fut pas sans générer un peu de trac… Nous le présentons ci-dessous !
Comment conjuguer esprit critique et poésie ?
Cette proposition d’atelier fut un défi pour nous. Nous avons été inspiré·es par un désir sérieux de lier des disciplines que nous n’estimons pas antinomiques, mais dont les rapprochements ne tombent pas suffisamment sous l’évidence pour que nous n’ayons pas à justifier notre démarche, ou à la questionner. La réflexion avait déjà été amorcée, notamment lors d’un échange pour un épisode du podcast Enfin, peut-être de Nicolas Martin[mfn]Vous pouvez vous en régaler les oreilles en l’écoutant ici : https://podcasters.spotify.com/pod/show/nicolas-martin88/episodes/16–Le-droit-des-ombres–choisir-leur-forme-et-leur-couleur–Posie-critique–Gabrielle-Golondrina-e280dhf
L’article qui en a été tiré pour le site du Cortecs est disponible ici : https://cortecs.org/language-argumentation/des-mots-pour-abimer-les-dogmes-poesie-et-pensee-critique/ [/mfn]. C’était là un enjeu, ainsi que l’occasion d’une réflexion sur la pertinence de notre idée et l’intérêt qu’il y aurait ou non à l’étoffer et la réitérer dans des formes plus abouties.
Aussi avons-nous annoncé dès l’introduction qu’il s’agirait d’un rodage et que toute remarque critique serait bienvenue. L’indulgence requise nous fut acquise, les participant·es ayant fait preuve d’un enthousiasme et d’une bienveillance si salutaires que nous sommes impatient·es de reprendre l’atelier.
Déroulé de l’atelier
Premier temps La séance a commencé sur un exercice d’échauffement, directement emprunté aux poètes du mouvement surréaliste arabe Mohammed Awadh et Abdul Kader El Janabi, les antiproverbes. Ce jeu reprend le principe du cadavre exquis, en plus court et plus percutant : un·e participant·e écrit un verbe à l’impératif, le cache à son·sa voisin·e, qui devra écrire à la suite un complément. Le résultat donne de savoureux contre-conseils tels que :
- « Demandez-vous si les souvenirs sont inutiles. Ne nivelez pas d’espoirs futiles. »
- « Admets les flammes. Soulève-toi chaque jour. »
- « Immobilise le calme des murmures. »
- « Appelle-moi une croyance. Lis en moi un complément d’objet direct. »
Et d’autres encore dont on se régale sans trop savoir pourquoi, avec le confort peut-être de pouvoir les savourer sans avoir à les suivre.
Deuxième temps Nous avons ensuite demandé à nos joyeux·ses poètes de choisir un de leurs antiproverbes et d’en proposer une explication, un contexte, enfin de l’habiller d’un peu de raison. Là encore, la poésie et l’imagination furent à l’œuvre presque malgré nous, et c’est avec une joie non retenue que nous avons découvert quelles richesses se cachaient dans les plumes qui s’agitaient.
« La nature humaine est telle un filet de pêche, certaines choses parviennent à lui échapper peu importe à quel point les mailles sont serrées. Ne nivelle pas d’espoirs futiles, ils sont tiens de les hisser au sommet ou de les voir sombrer. »
« Métabolisons les baleines qui bossent.
Digérons-les jusqu’à l’os
Et coulons avec elles au fond de la fosse. »
C’est peu de dire que nous étions impressionné·es et ému·es de voir chacun et chacune s’emparer avec une telle énergie des sujets, de la langue et des libertés qu’elle offre en termes d’expressivité.
Nous retenons (et cela nous a été confirmé dans les retours) comme point positif de cette mise en bouche la relative facilité de mise en place, d’exécution, et de possibilité d’obtenir un rendu satisfaisant et valorisant. De plus, l’exercice a immédiatement permis que les participant·es se rencontrent et échangent, créant un cadre convivial qui tiendrait durant toute l’heure et faciliterait à la fin la lecture des textes.
Troisième temps Tous ces esprits bien échauffés, nous avons annoncé les consignes du dernier exercice, lequel (nous y reviendrons) fut un peu plus laborieux et aura le plus besoin d’ajustements. Il s’agissait d’extraire d’ouvrages mis à disposition une phrase, et de la réécrire en cherchant à lui faire dire précisément le contraire de ce qu’elle énonçait. Cette phrase remaniée serait ensuite la première du texte à écrire dont le sujet était : « Les REC 2025 –
il se passe quelque chose d’imprévu ». Contrainte supplémentaire : insérer un des antiproverbes précédemment écrits, éventuellement celui qui avait été développé lors du deuxième exercice.
Après 15 à 20 minutes d’écriture, nous avons demandé à toutes celles et tous ceux qui le voulaient bien de lire leur texte à voix haute, et décidément, ces esprits critiques ne manquent pas de talents littéraires (nous ne résistons pas à l’envie de partager avec vous un des textes que nous avons pu conserver – voir en fin d’article).
Retours et bilan de l’atelier
Enfin, nous avons pris note des retours qui nous ont été adressés et qui enrichissent actuellement notre réflexion autour de cet atelier. Assurément, nous le proposerons de nouveau. La question du cadre se pose : nous avons conscience qu’en ce lieu, à savoir un événement dédié explicitement voire exclusivement à « l’esprit critique », le public était a priori acquis à notre démarche, tout du moins ouvert à l’idée et soucieux même d’y apporter ses propres outils de pensée critique. Du même temps, l’art n’y occupant qu’une place minime, nous avons eu à cœur de lui donner une place d’honneur et de ne pas reléguer une approche franchement artistique au domaine de l’émotion brute, qu’il faudrait fuir pour demeurer rigoureux·se dans toutes ses approches.
Quels objectifs peut remplir un tel atelier ? À l’heure actuelle nous voyons deux objectifs principaux qui dépendent du public de l’atelier :
- Être une porte ouverte vers la pensée critique. La mise à distance et les jeux de langage qu’offre la poésie peuvent être un premier pas pour déconstruire nos schémas cognitifs. Cette mise en bouche peut ensuite être consolidée avec des outils plus formels des enseignements d’esprit critique. Cet objectif s’adresse donc plutôt à un public non familier de ces outils-là.
- Assouplir des conceptions de la pensée critique trop rigide. Au contraire, pour un public davantage familier des outils de la pensée critique, cet atelier peut permettre d’apporter de la nuance, du doute ou d’éclairer des angles morts sur des thèmes. Puisque l’on est toujours à naviguer entre scepticisme et science, l’objectif est d’ajouter un peu du premier quand il y a trop du second.
Dans les deux cas, l’idée est de nourrir une certaine flexibilité mentale là où ont pu se former des rigidités (la poésie serait-elle une sorte de WD-40 cognitif ?).
Pour nous, cette première est prometteuse, ne serait-ce que parce qu’elle a été un moment visiblement plaisant pour tous et toutes. La mise en commun des idées d’amélioration a aussi, selon nous, participé à la dimension « esprit critique » de l’atelier que nous proposions, et la poésie a largement infusé dans les
idées et les mots durant cette heure-là. Il nous semble que cet espace de discussion et de retour sera utile pour tous les ateliers quelle que soit leur forme définitive.
Nous tenons à remercier les participant·es qui nous ont réjoui·es au-delà de nos espérances. Si vous en faites partie et souhaitez nous envoyer votre texte, ce sera avec plaisir que nous le découvrirons de nouveau.
Nous terminerons avec un des textes finaux qui nous a beaucoup plu. Et à l’année prochaine, vous n’êtes pas prêt·es pour ce qui vous attend 😉
REC 2025 en déroute
Les phénomènes émergents sont tels que l’on ne peut pas s’intéresser aux propriétés d’une couche d’intégration sans avoir recours à la somme des propriétés des parties constituantes de niveaux plus bas.
C’est cela que les organisateurs du REC 2025 ont oublié. Trop pris dans leur quête de savoir, trop focalisés sur les ténèbres de l’obscurantisme, ils n’ont pas vu la colère qui grondait, insidieuse. Et c’est ainsi qu’elle éclata : la grève des intervenants. « Trop d’esprit critique tue l’esprit critique ! » « Nous doutons du scepticisme ! » peut-on lire sur leurs panneaux. Poussés par leur propriétés naturelles animales, les intervenants ont fait un burn-out zététique et crient leur ras-le-bol dans l’hémicycle. Crise existentielle. Mais cela aurait-il pu en être autrement ? Il y a des possibles qui secouent l’avenir.
Petit à petit, les sceptiques se mirent à douter de la mise en doute de leur doute. S’ensuivirent colloques et réunions. Débats et arguments de fond. Rasoir d’Ockham et autres cames.
Et le consensus émergea.
Aussi vite que l’ouragan était arrivé, il passa. Les parties biaisées composantes des intervenants redevinrent silencieuses et tout le monde retourna au programme. Jusqu’au prochain putsch de l’animal.
(Toi qui es l’auteur de ce texte, n’hésite pas à te manifester si tu passes par là, que l’on te crédite !)
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.